Créé le 09 -09-2011 à 07 h00 | AFRIQUE REDACTION | REDACTEUR EN CHEF : ROGER BONGOS | SITE PANAFRICAIN | ACTUALITE NATIONALE, AFRICAINE ET INTERNATIONALE | Mis à jour le vendredi 09 -09-2011 à 08 h45 | AFRIQUE REDACTION PAR : LE POTENTIEL
Le volume et la qualité du travail, le niveau du chômage, la hauteur des revenus et de la consommation des ménages, doivent constituer ensemble une des toutes
premières préoccupations des dirigeants. Cette préoccupation est totalement ignorée en RDC, avec des alibis innombrables et sous divers prétextes. Dans une troublante complicité, la classe
politique et les forces sociales « ignorent » ce souci, livrant le pays affamé au désespoir, et sacrifiant jusqu’à la paix civile. – La vieille économie coloniale qu’on s’évertue à faire
prospérer sur cette misère aggrave celle-ci, accélère la destruction du tissu social et exacerbe le désespoir. Résultat : une spirale sans fin de déchéance humaine ; des milliers de jeunes livrés
à la délinquance ou à l’exil. – A quand un débat national sur cette question ?
Au Congo-Kinshasa, l’écrasante majorité de la population valide (environ 80%) est au chômage ou largement sous-employée. Marqué par une productivité nulle (ou très
faible) et un absentéisme particulièrement élevé, le travail est une véritable damnation. Il l’est au vu de ses outils surannés, de ses techniques obsolètes, de son organisation rudimentaire, de
son administration quelconque, de ses conditions insalubres, de son univers socio-juridique précaire et de ses revenus infrahumains irrégulièrement payés.
Un trou sans fond
Tout le pays en souffre et s’en trouve chaque jour plus appauvri. L’économie congolaise en pâtit : son « décollage » est sans cesse raté et sans cesse différé. La
jeunesse s’en désespère. Elle se livre à l’alcool et à la drogue. Ou elle émigre massivement vers des horizons lointains, présumés plus hospitaliers.
Le Congo perd ainsi ses bras vigoureux, sa confiance en lui-même et ça et là son espoir en quelque avenir que ce soit. – Avec des moyens encore plus rudimentaires
et plus réduits « à chaque nouvelle lune », le pays enregistre de nouveaux records de baisse de productivité et d’augmentation du nombre de pauvres et d’indigents. Telle une vis sans fin, la
régression sociale est sans limites ! Le pays est en chute libre dans un trou sans fond, depuis 1960.
La lutte pour la survie est donc partout, en désordre. C’est le sauve-qui-peut. Le tissu social se déchire sans cesse. Sans toit, ni revenu, ni nourriture, les
ménages se disloquent par milliers. Des lignages éclatent. Les réseaux de solidarité claniques se distendent partout. Par milliers, des enfants privés de protection forment des essaims de petits
mendiants, ou des hordes de milice ou des bandes de délinquants ; ils squattent des galeries minières insalubres, des décharges publiques, des immeubles inachevés ou à l’abandon, des rues, des
marchés publics, des cimetières ou des égouts.
A la faveur de la faim, l’insécurité se généralise : extorsions, corruptions, concussions, détournements, casses, viols, drogues, alcoolisme et délinquance. Des
mendiants, des « Vailleurs », des « Chailleurs », des « Moustrongueurs », des « moineaux », des « Shèguès », des « Kuluna » en haillons, des « Kuluna » en cravate, … sont autant de nouveaux
« opérateurs » socio-économiques. Partout, on survit grâce à des expédients, à la débrouillardise ; les pompes funèbres et les cimetières explosent et la mort se banalise. Tous les individus en
sursis sont de redoutables prédateurs aux dépens de leur entourage immédiat : en parfaits opportunistes, ils exploitent chaque « lueur de chance » qui s’ouvre devant eux pour rançonner et même
écraser leurs semblables.
Dans des eaux sociales aussi troubles, la recherche des rentes de position et des avantages indus est partout une pêche miraculeuse. Les loups mangent les loups.
Les congolais sont presque tous devenus des drôles de sangsues, qui survivent grâce au sang sucé auprès des autres sangsues voisines ou apparentées. Le parasitisme de proximité est devenu, depuis
le milieu de la décennie 1970-80, la seule modalité pour chacun de prolonger son sursis. Dans toute sa barbarie, le darwinisme est devenu la loi sociale et la norme morale en RDC.
Pour exister, il faut tuer alentour
Par des méthodes douces que sont la ruse, la duperie, la tricherie, le chantage, le vol, la corruption, l’usure, la concussion, l’escroquerie, les détournements. Ou
par des méthodes violentes que sont les pillages, les arrestations arbitraires, les prises d’otages, les rafles, les razzias, les viols, les assassinats, les meurtres, les invasions et les
guerres.
Dans la langue de bois, pudique et aseptisée, toutes ces pratiques s’appellent anti-valeurs : c’est, souvenons-nous-en, contre elles qu’est lancée, sans résultat
convainquant ni lendemain, l’opération tant médiatisée sous le nom de « tolérance zéro » ! « Tolérance zéro » n’est sans doute pas une diversion cruelle de la part des dirigeants, car le pays est
ingouvernable avec toutes ces « antivaleurs ». Mais c’est un coup d’épée dans l’eau, tant le mal est profond !
Assise sur le désespoir, une nouvelle culture n’en finit pas de s’inventer : celle de l’opportunisme parasitaire à très courte vue ; celle de l’irresponsabilité
devant sa propre vie et d’insensibilité devant le sort de sa communauté ; celle de l’ignorance et du désintérêt envers son pays ; et surtout celle de l’évasion de tous les instants dans le bruit
et dans d’incessantes « veillées de prières ». L’abattement moral et le fatalisme rodent partout. Par exemple, les kinois clament en chœur, à des moments de détresse collective ou de menace
commune : ebeba …, ebeba ! toboyi ba-toli ! Toboyi ba-logique ! (Traduction : Ça se gâte ? Eh bien, que ça se gâte ! – Des conseils ou de la « cohérence du comportement » ? Nous n’en voudrions
plus !).
Une omerta collective
Pendant que la déchéance collective est en marche, il n’existe aucun débat national, depuis un demi-siècle. Au mieux, il s’agit des « questions techniques» traitées
en circuits fermés et confiées à des cercles d’« experts ». Et quels « experts » ? Il s’agit des « experts » en matière de « petite délinquance » ou des « enfants de la rue », en matière
d’inflation ou d’agriculture, en matière d’investissements extérieurs ou en matière de fiscalité… ! N’importe quoi !
Aucun regard politique, aucun débat public ne circonscrit ce sinistre national dans tous ses contours, dans sa mécanique et ses rouages propres, ainsi que dans ses
conséquences néfastes sans cesse amplifiées. Le silence qui plane sur les questions du travail, de l’emploi, du revenu et de la consommation, devient de plus en plus insoutenable.
Même s’il ne s’est pas sensiblement policé en RDC, le débat politique se démarque peu à peu de l’invective. Dès lors, l’alibi de « la violence verbale » ne tient
plus la route pour justifier ce silence. Dans leurs programmes d’action, la classe politique et les institutions du pays évitent d’aborder toutes ces questions, et continuent à cafouiller dans du
superficiel.
En particulier, la question de l’emploi est littéralement ignorée, et, avec elle, celle des conditions de travail à améliorer et des revenus décents à garantir dans
le pays. – Ignorance ? C’est non. Il s’agit plutôt de l’insouciance généralisée et de l’irresponsabilité institutionnalisée. C’est une sorte d’omerta que la société congolaise semble avoir
décrétée sur son propre drame, pour couvrir ses crimes dirigés contre elle-même. Sans pousser un moindre gémissement, le serpent congolais est occupé de s’avaler totalement lui-même, en
commençant par sa propre queue !
Où sont donc passés les « projets de société » arborés et revendiqués par les quatre cents partis et plateformes politiques de la RDC ? Toute cette littérature
n’avait-elle aucune autre utilité que celle de meubler les discours lors des cérémonies de sortie officielle et de grossir les archives de l’administration ?
Un constat indiscutable : les partis et plateformes politiques ne sont pas plus audibles à propos de ce drame national. Ils ne donnent pas de la voix, y compris
lorsque les électeurs les interpellent sans ménagement à la veille des élections. C’est de la dérobade : meetings et discours dérivent vers des polémiques sans portée sur le destin du pays, ni
sur les conditions de vie de ses habitants.
On balbutie. On cafouille. On gesticule, on gonfle les muscles. On se réfugie derrière de vieux slogans éculés. Ni bilans. Ni prospectives. Ni programmes. Le pays
est tout entier rendu. On l’a dit, et on ne le dira jamais assez : les cris de détresse qui montent du Congo profond au sommet de l’État et aux états-majors politiques réclament des conditions de
vie humaines, par delà la paix et la sécurité. La garantie d’accès à un emploi épanouissant et rémunérateur est une voie de passage obligée.
Les gouvernants ne sont pas non plus justifiés de répondre à ces cris de détresse en brandissant, comme programmes ou comme bilans, quelques ouvrages de génie
civil, souvent érigés à un coût exorbitant, aux dépens d’un trésor public déjà au plus mal ou grâce à de nouvelles dettes, et en recourant à une expertise et une main d’œuvre étrangères. Quelque
somptueux que ces ouvrages puissent être, le discours politique passe à côté de la question sociale, et tourne court !
Dans le pays, personne ne donne de la voix sur la question de l’emploi, ou plutôt sur une des véritables plaies nationales que constituent la rareté et la
pénibilité du travail, le chômage et le sous-emploi généralisés, ainsi que les revenus indécents et instables. Et pourtant, c’est indiscutablement de ces facteurs que découlent principalement la
précarité généralisée des conditions de vie, la gangrène de la corruption, l’instabilité institutionnelle et la vulnérabilité de l’État. Mais la loi du silence enveloppe tout : les congolais sont
à l’abattoir, silencieux et imperturbables, tels des agneaux.
Projets de société et programmes de gouvernement
Une législature touche à son terme. Certes, on peut citer à son actif, souvent sur financement des organismes de coopération, quelques projets isolés visant une
maternité à rafraîchir et à rééquiper ici, là quelques magistrats à recycler ou, là encore, une poignée de lois à actualiser. Dans quelques coins isolés du pays, certaines infrastructures ont été
érigées avec, intimement mélangés, un trait d’audace et de génie, une mégalomanie financière et un souci de visibilité politique. Du touche-à-tout.
Mais aucune vision d’ensemble – dûment appuyée par un cahier de charges de la société civile ou un programme gouvernemental – n’est venue imposer des
limites au chômage et à la dégradation subséquente des conditions de vie des populations. Le trio composé de l’OIT, des syndicats et du gouvernement travaille, depuis bientôt 7 années, à une
mouture de plan sur l’emploi : cette longue gestation augure mal de l’accouchement. De tous les côtés, on prend son temps.
En attendant (quoi ?), le gouvernement fait essentiellement dans le béton armé et les carrés miniers. D’une voix à peine audible, les syndicats des travailleurs
s’occupent de revendiquer des salaires catégoriels relevés. Les chômeurs se livrent à l’alcool, se terrent dans les égouts ou fouillent les décharges publiques, s’ils ne se constituent pas
carrément en bandes de casseurs et de pickpockets.
Troublante coïncidence : c’est dans ce vivier d’électeurs potentiels que les états-majors politiques ont coutume de puiser, souvent au son des cymbales et de la
fanfare, pour remplir les stades de football à l’occasion des meetings publics. C’est dans le même vivier que des seigneurs de guerre viennent recruter des enfants-soldats. C’est dans cette même
masse de marginaux que divers dealers dénichent les « casseurs de noix » les plus fidèles. C’est dans cette forte « armée de réserve » – qui s’élargit sans cesse et squatte partout ! – que
se recrutent, à prix vils et dans une grande insécurité sociale, des domestiques, pousse-pousseurs, chargeurs de camions, gardiens, sentinelles et autres forçats pudiquement qualifiés de «
salariés temporaires ».
C’est bien ainsi qu’est dilapidé le potentiel de travail national
Les méthodes ne sont pas étrangères au mépris pour le pays et au cynisme envers ses habitants. L’insouciance et l’indifférence sont généralisées à tous les niveaux
de… responsabilité. Des solutions – fût-ce en trompe-l’œil – ne sont guère au rendez-vous.
Certes, avec la Banque Mondiale, la question dite de la réduction de la pauvreté a été soulevée depuis 2001. Elle a été mise en équation, débattue entre des «
experts » venus de Washington et des fonctionnaires congolais, et inscrite dans un plan d’action du gouvernement. Il s’agit du Document de Stratégie pour la Réduction de la Pauvreté (DSRP).
Bureaucratique, cette « stratégie », parrainée par la Banque Mondiale et mise en œuvre depuis une décennie, n’a ni une cible bien identifiée dans la population, ni un groupe social porteur, ni
une échéance et une tribune soigneusement indiquées pour en rendre compte …
Sans surprise, le DSRP n’a pas de bilan connu depuis près de dix ans
En vérité, la question sociale au Congo peine à redevenir une des questions politiques qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être depuis la dissolution du Conseil
Colonial un certain jeudi 30 juin 1960 ! Elle est depuis cette date, au mieux, une question technique, passablement liée à la reprise de la croissance de l’économie congolaise. Et pour que
personne n’en ignore, le DSRP de 2001 a été réécrit en 2008-2009 pour devenir le DSCRP (Document de Stratégie pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté). Bien plus, il chevauche avec les
OMD (Objectifs du Millénaire, adoptés en 2000 aux Nations-Unies et prescrits à l’ensemble du globe), après avoir jouxté le Programme économique du gouvernement (2003–2005). Il côtoie aujourd’hui
le Programme des cinq chantiers (2007 – ?), après s’être inscrit, en 2009, dans « l’année du social ».
Cette cascade de programmes fait désordre. Elle est inopérante. La redondance et le chevauchement des engagements de l’État condamnent le DSCRP à rester moisir dans
les tiroirs. Après tout, assurent les « experts », on ne peut créer des emplois et réduire la pauvreté qu’à condition de faire redémarrer la machine économique du pays. C’est un alibi grossier.
Il emprunte son habillage à la logique scientifique. À tort, les institutions de Bretton Woods en proclament la justesse. En attendant l’improbable retour de l’économie, le Congo profond trinque
!
Au nom de la « bonne gouvernance » !
En clair, quelque 25 millions de jeunes et adultes congolais – chômeurs en quête d’emploi – devraient faire preuve de patience, même lorsqu’ils jurent d’être prêts
à se contenter de « n’importe quel emploi, pour n’importe quel salaire » ! Abattue et résignée, la population demande un toit, de la nourriture, un emploi et un revenu décent. Cette demande est
des plus modestes.
Qu’une telle quête soit faite sous la contrainte de survie ne change rien à la logique des « experts », mieux à la rigidité mécanique de la théorie économique
néolibérale. Privés de la solidarité viagère clanique qui se dérobe chaque jour sous leurs pieds, ces millions de chômeurs congolais n’ont de choix qu’entre la misère et la délinquance
criminelle. Au nom de la « bonne gouvernance » à promouvoir, un tel système est pour le moins inopportun, sinon suicidaire.
D’ailleurs, aucun système de sécurité sociale n’est en projet en RDC. Au cœur de cette économie singulière, « rien – le social en première ligne ! – ne va quand le
bâtiment va » ! En marge du social – sinon contre lui – on se soucie de « bonne gouvernance ». Entendez par là : compression des dépenses publiques (principalement à travers la suppression des
dépenses sociales et la compression des emplois dans l’administration), libéralisation intérieure et ouverture à l’extérieur de l’économie « nationale », remboursement de la « lourde » dette
extérieure et – cerise sur le gâteau – lutte contre l’informel et la corruption dans le pays.
En clair, « la bonne gouvernance » est l’art de gérer une économie nationale sur le dos de la société et contre les intérêts des catégories sociales les plus
larges. Et comme en RDC la quasi-totalité de la population est composée des catégories sociales vulnérables, « la bonne gouvernance » doit être comprise ici comme l’art de gérer l’économie du
Congo contre les intérêts de presque tous les congolais ! Qui en douterait aujourd’hui, après avoir entendu ce cri révélateur « On ne mange pas la rigueur ! » qu’avait lancé, excédé, l’élève
modèle du FMI, M. Mobutu lui-même, en janvier 1987 ?
Hormis l’exigence de voter des lois claires, mettre sur pieds des procédures allégées et les faire respecter, d’abord, ensuite l’obligation de mettre fin aux
détournements, à la corruption, aux passe-droits et à l’impunité généralisée, et, enfin, le devoir de rendre régulièrement compte de sa gestion, le morceau restant de ce qu’il convient d’entendre
par « bonne gouvernance » est constitué principalement du souci d’« améliorer le climat des affaires » dans le pays.
C’est bien ici qu’il y a un os, car une certaine rigidité est introduite dans l’ordonnancement des tâches à accomplir. C’est – entre autres principaux atouts – des
bas salaires et d’un accès aisé aux ressources naturelles qu’il convient d’espérer la frénésie des investissements étrangers, la perspective des profits et des recettes fiscales confortables,
ainsi que le redémarrage de la croissance économique.
L’emploi, le travail, les revenus et la consommation des congolais constituent, au mieux, un souci qui vient loin derrière l’exigence d’« améliorer le climat des
affaires ». Ils représentent au Congo un don gracieux à faire à la population, après que cette vieille économie d’extraction-exportation aura réussi à retrouver ses records d’antan et, on
l’espère vivement, à renflouer les caisses de l’État !
Exiger des emplois dans l’immédiat – comme la population congolaise est occupée à le faire – est, ni plus ni moins, « vouloir consommer avant la production »,
mettre la charrue devant les bœufs ! En RDC, c’est même « pervertir la logique économique » et donner dans le mur : d’après les maîtres à penser du moment, l’augmentation de l’emploi et des
revenus devrait venir après l’enrichissement des investisseurs et de l’État !
Autrement, une politique de l’emploi ne relancerait d’aucune manière cette vieille économie coloniale. Bien au contraire, elle déclencherait une spirale inflatoire
qui viendrait ruiner la « production nationale », c’est-à-dire faucher les espoirs de profit des investisseurs privés, diminuer les recettes de l’État et, par delà tous ces malis, desservir «
toute la population congolaise » ! Aucun doute n’a sa place devant cette conviction « scientifique ». C’est la loi et les prophètes néolibéraux, tels qu’ils sont prêchés et appliqués sous les «
tristes tropiques » congolais.
Au Congo, la causalité entre l’emploi et la prospérité serait unidirectionnelle : la croissance crée l’emploi, et l’inversion de cette séquence crée le chaos !
Ainsi, l’américain Milton Friedmann est le prophète du moment, l’anglais John M. Keynes étant devenu un redoutable faussaire. L’enseignement a changé dans les auditoires bondés et surchauffés des
universités congolaises.
S’il y avait encore des congolais qui réfléchissent autrement – ou, pire, complètement à l’envers –, il est temps que ces pauvres ignorants s’avisent à prendre de
bonnes leçons d’Économie, en étudiant « le consensus de Washington » de préférence auprès des « experts » de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International ! Qu’ils aillent massivement à
l’école de la « bonne gouvernance ». Contrairement aux dires de J. M. Keynes, « à long terme nous ne serons pas tous morts », mais nous serons tous non seulement vivants, mais plus vigoureux et
plus heureux. Congolais, à vos espoirs !
Victimes de la mauvaise gouvernance passée
La situation ne nous laisserait aucun autre choix ! La responsabilité historique de notre déchéance collective actuelle n’incombe-t-elle pas à « nous-mêmes » ? Nous
avons tour à tour « zaïrianisé » et pillé nos entreprises, financé nos budgets publics par la planche à billets, engrangé les revenus de seigneuriage à travers des dévaluations diluviennes,
endetté l’économie et le pays plus que de raison, créé des éléphants blancs avec des emprunts coûteux, détourné des fonds publics, vécu sur de plantureuses commissions, ponctionné et bradé les
entreprises du portefeuille public, découragé les investisseurs étrangers, instauré le dirigisme et la protection des canards boiteux,… Qui niera ?
Nous voilà, enfin, tels des « animaux malades de la peste », tous victimes aujourd’hui de nos nombreux crimes d’hier !
Moralité : notre salut collectif demeure logiquement entre les mains des … étrangers ! Appelons-les plutôt des « expatriés », en raison de leur mission ingrate dans
ces régions insalubres loin de leurs mères-patries ! Abandonnons-leur nos rares emplois, nos entreprises publiques et privées, et des revenus substantiels ! Mieux, laissons le pays entre ces
têtes et ces mains aussi dévouées qu’expertes : pour leur faciliter une œuvre aussi salutaire au milieu de nous !
Auto-flagellation ? Non ! Ce serait le plus « incontestable des réalismes » et la plus avantageuse des modesties : ces braves individus venus de loin ont accepté de
s’expatrier pour venir nous restituer cette dignité humaine que nous aurions détruite nous-mêmes. La jeunesse congolaise commence à croire sérieusement à cette fable !
Il y a, à ce sujet, une médaille d’or que les pontes du libéralisme tardent à décerner à notre pays, au grand dam des vieux pays libéraux de l’Occident qui, sans
exception, réservent par principe la priorité de l’emploi à leurs propres citoyens. Les dirigeants de ces pays s’époumonent, le dos au mur et les cœurs meurtris, à nous convaincre de leur droit à
une « immigration choisie » : c’est-à-dire de leur préférence nationale pour ce qui est des emplois salubres ou jugés valorisants.
Chez-nous au Congo, c’est bien le contraire. Au nom d’une culture d’entreprise et de « bonne gouvernance » que nous n’aurions guère domestiquées et qu’il nous
faudrait importer. Au nom des capitaux dont le pays serait quasi-totalement dépourvu. Et en faveur du « transfert des technologies »… Bref, au nom de l’économie, sans plus !
En effet, il n’y aurait de rationalité qu’économique ; le reste des aspects de notre vie collective ne baignerait que dans l’irrationalité. C’est la loi et les
prophètes en vertu desquels la « bonne gouvernance » tient lieu de la seule raison pratique qui vaille pour les États des Tropiques.
En attendant la croissance économique et ses « généreuses retombées sociales », le peu d’emplois intéressants qui s’improvisent ça et là dans le pays sont à laisser
aux étrangers et – subsidiairement – à quelques congolais. Toute préférence nationale en matière d’emplois serait un protectionnisme à bannir, un mal suprême à éviter : « pour l’économie et pour
le pays ». La rigueur des lois économiques néolibérales ne manquerait pas de sanctionner sévèrement un Congo protectionniste ! On tremble.
Ainsi, à commencer par la cuisson et le commerce des beignets jusqu’aux prestations des médecins, des avocats, des « experts en projets et programmes », des
économistes, des chirurgiens des architectes, des chefs de chantier, des conducteurs de gros engins et autres techniciens de bas étage, … la libéralisation du secteur de l’emploi est plus
qu’exemplaire au Congo.
Dans tous les cas de figure, les revenus payés aux étrangers représentent, au moins, le quadruple de ceux versés aux nationaux : cela se fait à compétences,
responsabilités et performances égales. Certains congolais geignent, déclarant n’y voir qu’une politique délibérée de « préférence injustifiée pour les étrangers ». Ils n’auraient pas raison. Le
Congo est un cas à part, et se complaît à demeurer une brillante exception. Le pays des congolais est un sérieux prétendant au titre prestigieux d’« économie la plus libérale au monde » où tout
protectionnisme est suicidaire, et où la rigueur des lois est de préférence réservée aux nationaux, tandis que les avantages de la même loi sont prioritairement réservés aux étrangers, ces
dépositaires de la rationalité économique, ces garants attitrés de la performance tant souhaitée de notre système économique.
Aux yeux des dirigeants congolais, les milliers de congolais qu’indigne cet état de choses seraient des grincheux : ils ne comprendraient pas grand’chose aux «
exigences, servitudes et avantages de la mondialisation et de la coopération internationale ». En effet, dans ce pays pauvre très endetté, l’essentiel de l’espoir pour la population aurait pour
noms l’investissement étranger, le transfert de technologies et l’« amélioration du climat des affaires ». Péremptoire, et « confirmé » !
L’avenir du Congo aurait pour gage et pour « décor naturel » le laisser-faire et le laisser-aller, en faveur des intérêts étrangers principalement. Des raisons
existent. Notre reconnaissance envers tous les étrangers doit être à la hauteur de la grande défiance que nous devons cultiver contre nous-mêmes. Nos crimes passés et actuels contre les règles
élémentaires du libéralisme rédempteur, doivent être expiés : en toute modestie. Sur cette voie, le salut du pays est « certain », mais aux calendes grecques. Patience pour ceux qui, dans
l’impatience, réclament du social : le Congo est encore en quête de l’économique.
En guise de conclusion provisoire
Le travail manque et est de médiocre qualité. Le chômage et le sous-emploi caracolent à près de 80% des hommes et des femmes en âge de travailler. Les revenus sont
misérables, la consommation négligeable et toute l’économie sous la menace constante de régression.
Lorsque rien ne laisse présager une quelconque prise de conscience à propos de cette indiscutable déchéance, il ne peut y avoir d’autre conclusion à cette analyse
en dehors du constat de carence dressé ci-dessus. On navigue à vue. Le pays ignore jusqu’où ira sa déchéance actuelle. Il ignore comment, par qui et à quel moment amorcer un changement de sens
dans sa marche inexorable vers l’irréparable. Avec un niveau aussi élevé de chômage et de sous-emploi (environ 80%), le sinistre chapelet des calamités humaines reste sans une fin prévisible.
Depuis quatre décennies, aucune institution – ni aucun individu – n’a osé lui prescrire des limites à ne pas franchir. Ni même indiquer en quel maillon cette lugubre chaîne de calamités peut être
cassée un jour !
Notre déchéance sociale reste le meilleur indicateur de la dérive du pays et de la déliquescence de l’État. Les considérations habituelles de nos « spécialistes »
accusant la faiblesse de l’épargne, la rareté des investissements et la « mauvaise » orientation des initiatives économiques, sont autant d’alibis spécieux à une gestion économique du pays
aujourd’hui moins socialement engagée et moins cohérente que sous le défunt régime … colonial.
Et pourtant, il en va tout autrement ailleurs dans le monde. Avec l’investissement, l’emploi est le levier de l’économie, et une des meilleures mesures de sa
performance. Quelques exemples. L’évolution des marchés boursiers est partout sensible à la variation de l’emploi dans les principaux pays dont les titres financiers sont placés sur ces marchés.
L’Espagne se morfond de ne fournir des emplois qu’à 80% de sa population en âge de travailler. Les États-Unis et l’Allemagne se morigènent avec le score de 92%. La France s’estime dans le rouge
avec un ou deux petits points en dessous de 90%. L’Italie et la Belgique se reconnaissent un bilan social – et économique ! – peu élogieux avec 93%.
Tout à l’opposé, avec moins de 20% d’emplois et plus de 80% de chômage et de sous-emploi, l’État congolais garde intacts sa contenance morale et son verbe haut !
Comme c’est surréaliste !
Il y aura peut-être, dans quelques semaines, les élections présidentielles et législatives couplées. Les candidats parlent de tout – et promettront tout –, sauf un
débat national sur les conditions d’existence des congolais : en termes de volume et de qualité du travail, en termes d’emplois à créer pour des millions de congolais, et en termes de niveau des
revenus liés à ces emplois. Cette réflexion n’a pas pour souci de suggérer – ni, encore moins de recommander – quoi que ce soit à qui que ce soit. Il se borne à exiger l’ouverture d’un débat
national sur ces questions. C’est tout.
Sous l’influence maléfique d’une vulgate libérale et sous divers prétextes et alibis, les dirigeants du Congo indépendant ont toujours évité de prendre un moindre
rendez-vous avec l’Histoire pour ce qui est du destin réservé à leur propre peuple ! Le souvenir du discours à Dakar de M. Nicolas Sarkozy, Président français, revient à l’esprit, avec les
contrariétés et les tourments causés à tout un continent ! Ubi terrarum sumus ?
Kabeya Tshikuku, professeur à l’Université de Kinshasa