À Kisangani, dans la Province Orientale, un candidat député national sort de l’ordinaire. Transporteur de marchandises à vélo depuis 20 ans, sans le sou, il est
considéré comme le "candidat des pauvres" par des vendeuses de marché, des conducteurs de taxi-motos et taxi-vélos et des petits vendeurs ambulants, qui font campagne pour lui…
Le 28 octobre, jour du lancement de la campagne électorale pour la présidentielle et les législatives qui doivent avoir lieu le 28 novembre en Rd Congo, le
spectacle a surpris tout le monde. Au marché central de Kisangani et à celui d'IAT, au centre-ville, des femmes commerçantes se cotisent pour un candidat député national : Alphonse Awenze
Makiaba. L’homme est un kumba kumba (vieil homme au vieux vélo), qui gagne sa vie en transportant de la marchandise entre les marchés et le domicile de ses clients, des ménagères essentiellement.
Des sacs de manioc, de maïs, de riz, des bidons d’huile… dont la charge portée sur un vélo déglingué dépasse parfois sa force de travail.
L’annonce de sa candidature s’est répandue comme une trainée de poudre dans tout Kisangani. Quarante-sept ans, dont vingt de métier, Alphonse Awenze était
convaincu depuis un moment de sa popularité auprès des vendeuses de ces marchés et de ses clientes. Son courage et sa bravoure leur ont toujours fait forte impression. Il a aussi acquis l’estime
des tolékistes, les conducteurs des taxi-vélos, très nombreux dans la ville. Selon ces derniers, il les a toujours défendus en cas de problème.
"Il arrangera peut-être notre source d’eau"
"C’est depuis les élections de 2006 qu’il nourrit l’envie de poser sa candidature, raconte Charles, son voisin, qui au départ croyait à une blague. Cette
année-là, il avait hésité. Mais depuis 2009, Alphonse disait déjà à tous ses clients et proches 'Ne m’oubliez pas ; je serai candidat’". Il a donc réalisé son rêve cette année, en se présentant
aux législatives sur la liste d’un petit parti politique, la Convention pour la République et la Démocratie (CRD). Selon Charles, il a déjà quitté deux partis politiques en raison de "son
franc-parler très dénonciateur des injustices."
Dans son quartier, Kilanga 2, dans la commune de Kisangani, il ne dort plus chez lui pour raison de sécurité. La maison en terre qu’il loue laisse passer le
vent. "Il connaît la souffrance qu’il a toujours vécue dans sa chair. Il arrangera peut-être notre source d’eau", disent ses voisins de quartier. Il a été du coup surnommé "le candidat des
pauvres". Et contrairement aux autres postulants à qui les électeurs chantent à tue-tête un refrain en swahili mélangé de mots français – "tuta ku savé comment, fanya asi ba affaires yako"
(donne-nous de l’argent pour montrer de quoi tu es capable) –, personne ne lui réclame rien !
Dans la ville, c’est même tout le contraire. À petits frais, tolékistes et motards collent son effigie sur les guidons de leurs engins ; les petits vendeurs
ambulants font de même sur les seaux et plaquettes de leur marchandise. Des photographes font de petites affaires en imprimant sa photo en couleur, qu’ils revendent à 500 Fc pièce et 50 Fc la
copie. D’autres personnes fabriquent des calicots portant son nom et son numéro d’ordre qu'ils griffonnent sur de simples papiers placardés sur les murs. Des caricaturistes le croquent chassant
les nantis de leurs postes…
L'expression d'une déception populaire
Dans cette ville, où le transport public est essentiellement assuré par les tolékistes et les motards, ce sont eux qui d'habitude escortent les hommes
politiques en tournée de propagande. Alphonse est devenu leur champion. Ils font chaque jour le tour de la ville avec lui, drainant partout des foules. "Les habitants se reconnaissent en lui. Il
est pauvre comme nous. Donnons-lui la chance de manger, d’acheter une voiture, une maison… Même s’il ne fait rien pour nous, ce n’est pas grave", estime Mado Batanga, serveuse dans un restaurant.
Les électeurs connaissent à peine son parti qui, comme de nombreux autres (plus de 400), en Rd Congo, n’a guère de programme. Activiste des droits de l’homme, Jean-Paul Nyndu considère
l'étonnante popularité de ce candidat comme un défi lancé aux gouvernants par la population. "C’est l’expression de la déception face aux élus de 2006, dit-il, car l’argent seul ne suffit pas. Il
faut l’adhésion populaire." Coordonnatrice du Réseau des médias associatifs et communautaires de la Province-Orientale, Gislaine Itama y voit le résultat des émissions qui demandaient aux gens
"de ne pas voter pour les cadeaux qu’offrent les candidats." Reste à voir si cet enthousiasme populaire portera réellement chance à ce petit candidat des pauvres.
Pépé Mikwa