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Implications et ambiguïtés de la « bonne gouvernance » en Afrique

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Créé le 03-06-2011 à 00h00 | AFRIQUE REDACTION | REDACTEUR EN CHEF : ROGER BONGOS | SITE PANAFRICAIN |  ACTUALITE | RDC | Mis à jour le VENDREDI  03- 06-2011 | 13H13| AFRIQUE REDACTION  PAR : LE POTENTIEL 

  


Depuis la fin de la guerre froide, le continent africain, qui était jusque-là un champ privilégié d’affrontements entre les puissances de deux blocs antagonistes, est devenu un champ d’expérimentation de nouvelles théories libérales visant à consolider ou à perpétuer l’implacable logique de la recherche ou de l’extension des marchés. Car, aux intérêts politiques et géostratégiques de la guerre froide, ont succédé des intérêts plus économiques (ou la dictature du marché), que les institutions financières internationales se chargent d’accroître ou de perpétuer.

Une doctrine en expérimentation

Parmi ces nouvelles théories en expérimentation, il y a celle dite de la « good governance » (rendue de façon approximative en français par « bonne gouvernance »), érigée en exigence et critère d’aide par la Banque Mondiale (BM) et le Fonds monétaire International (FMI), suivis et appuyés en cela par des nombreux autres bailleurs de fonds occidentaux.

En effet, face aux clameurs qui s’élevaient de partout pour dénoncer la rigueur assassine des programmes d’ajustement structurels menés surtout dans les années 80 sous la houlette du FMI, et devant l’échec des processus de démocratisation entamés au seuil des années 90, la BM a lancé ce nouveau credo à l’aune duquel les «bailleurs de fonds » entendent juger désormais les performances des Etats bénéficiaires de leur assistance.

La «bonne gouvernance » peut être entendue comme « la gestion des affaires publiques par la génération d’un régime (ensemble de règles) accepté comme légitime visant à promouvoir et améliorer les valeurs sociales auxquelles aspirent individus et groupes ».

Historiquement, le concept de gouvernance a été formulé explicitement en 1989 dans un rapport de la BM intitulé « De la crise à une croissance durable » (dit aussi ‘rapport Berg’, du nom de son auteur). Ce dernier partait du constat qu’un environnement favorable au marché, que visaient les programmes d’ajustement structurel, n’était pas une condition suffisante du développement. Ainsi, ce rapport prenait-il en compte les dimensions politiques et culturelles du déclin de l’Afrique, en dénonçant dans la foulée le mauvais fonctionnement des administrations, la corruption, le laxisme dans la gestion des affaires publiques. Il pointait aussi du doigt un certain type de régimes clientélistes et illégitimes qui inhibaient le développement et qui, à ce titre ressortaient du domaine d’intervention de la BM.

Lorsque furent lancés, dans les années 90, les processus de démocratisation et les conditionalités politiques des aides au développement, les bailleurs des fonds s’alignèrent sur les espoirs suscités par cette nouvelle vague démocratique; ainsi, du coup, les exigences d’une bonne gouvernance vinrent se confondre avec celles de la démocratisation des régimes africains. Ainsi la BM non seulement discutait de la gouvernance en termes de réformes du secteur public, de responsabilité politique, de légitimité du régime et d’institutionnalisation du pouvoir par opposition à son usage personnel, mais mettait aussi l’accent sur l’importance du pluralisme politique notamment sous ses exigences de la participation et de la décentralisation.

Mais progressivement, bonne gouvernance et démocratie vont être dissociés, même s’ils continuent de se chevaucher. En effet, la démocratie a pour éléments constitutifs le pluralisme, la concurrence, les élections libres au suffrage universel, le constitutionnalisme, etc.

La gouvernance, elle, n’a pas besoin d’impliquer un mode démocratique de choix ou une forme spécifique de responsabilité publique comme les élections concurrentielles ; elle est moins associée avec les droits des minorités, et elle n’exige pas la participation directe du gouverné d’une manière significative aussi longtemps que le régime (ensemble de règles) est largement connu et respecté.

C’est, pourtant, dans cette confusion conceptuelle que les  «donateurs» occidentaux vont inscrire l’exigence d’une « bonne gouvernance » dans leurs relations avec l’Afrique.

Des exigences d’une bonne gouvernance en Afrique

A l’aube de la décennie 90, les bailleurs de fonds occidentaux semblaient confrontés à un vicieux dilemme : d’une part, comment redonner une nouvelle vigueur aux programmes d’ajustement structurel décriés et contestés par les populations des pays « bénéficiaires » ; et d’autre part, la guerre froide ayant pris fin, sous quel prétexte soutenir des régimes politiques mis en place avec la bénédiction occidentale, et dont la majorité avait sombré dans des dérives dictatoriales qui inhibaient tout développement. L’entrée de nombreux pays dans des processus de démocratisation offrait donc une issue salutaire à ces donateurs, qui pouvaient ainsi justifier leurs interventions tant auprès des populations du Sud que vis-à-vis des opinions publiques du Nord.

C’est ainsi que les pays donateurs ne vont plus se contenter de réguler les forces du marché, mais veilleront également au bien-être des citoyens dans les pays bénéficiaires des aides. D’où, l’apparition des exigences politiques dans le discours officiel des bailleurs de fonds : l’aide sera octroyée au prorata des progrès accomplis en faveur de la démocratisation et du respect des droits de l’homme. Au sommet de La Baule en 1990, le président François Mitterand donne le ton : l’aide française sera liée aux progrès démocratiques observés dans les pays bénéficiaires. En juin 1990, la Grande-Bretagne et l’USAID introduisent aussi une conditionnalité démocratique dans leurs programmes d’aide, en exigeant une réflexion et un audit internes sur les résultats réels et l’efficacité des flux financiers à destination du continent africain. En novembre 1991, la Communauté Européenne annonce la liaison de ses déboursements à une conditionnalité démocratique : respect des droits de l’homme, lutte contre la corruption, liberté de la presse, diminution des dépenses militaires, etc, en vue d’une plus grande efficacité des réformes économiques. Ce fut là conditionnalité démocratique des aides publiques au développement.

Beaucoup de dirigeants africains prirent ces nouvelles exigences au sérieux et s’inscrivirent spontanément voire hâtivement dans les schémas ainsi prescrits. Les plus sincères lancèrent des transitions démocratiques libres et effectives qui en balayèrent quelques-uns (Bénin, Congo-Brazzaville, Niger, Mali, Burundi, Centrafrique, …). D’autres, les plus rusés ou les plus malveillants, se limitèrent à des ébauches de transitions démocratiques sous haute surveillance pour conserver le pouvoir (Zaïre, Togo, Cameroun, Burkina Faso, Gabon, Tchad, …).

Mais, appliquée à géométrie variable et de manière plutôt laxiste, cette conditionnalité n’a pas induit les effets attendus en Afrique ; au contraire, les effets pervers vont l’emporter sur les maigres résultats obtenus. Car, non seulement l’enveloppe n’a pas augmenté d’un iota, mais en plus régimes démocratiques et dictatoriaux reçurent le même traitement, les critères d’octroi des aides s’avérant autres que la libéralisation des systèmes politiques.

En effet, les agences d’aide appliqueront chacune son mode de conditionnalité, lié à sa propre conception de l’Etat et de la démocratie, à sa culture politique, et surtout aux intérêts économiques ou stratégiques à promouvoir ou à préserver dans tel ou tel autre pays. Ainsi, par exemple, suite au massacre des étudiants de Lubumbashi et au blocage du processus de démocratisation au Zaïre, le Canada et la Belgique adoptèrent des mesures restrictives à l’encontre du régime de Mobutu, tandis que la France lui est restée plutôt favorable.

Les conséquences politiques de ces injonctions contradictoires furent immédiates : les « démocrates » se sont sentis floués, et les vieux réflexes reprirent aussitôt le dessus : blocages des processus démocratiques et recrudescence de l’autoritarisme par ici (Zaïre, Togo, Tchad, Cameroun, …) ; coups d’Etat par là (Nigeria, Burundi, Niger, Sierra Leone, etc) ; sans oublier les guerres de pouvoir à soubassement ethnique (Rwanda, Burundi, Congo-Brazzaville).

Bref, les processus de démocratisation, et des conditionnalités politiques mal appliquées, ont rapidement été dépassés par les faits. En plus, la théorie démocratique, dans sa version consistant à établir une corrélation entre démocratie et développement, s’avérait démentie par les faits : il y a bien des pays au monde qui, sans être démocratiques, ont amorcé le développement économique et affichent des chiffres de croissance en augmentation constante. Pourquoi ne pas s’en inspirer en Afrique ?

Aussi, la BM s’empressa-t-elle de relancer, avec le soutien de la politique extérieure américaine, son précepte de la « good governance » en lieu et place des hasardeuses conditionnalités politiques. Et les pays occidentaux, dont les chantres de la conditionnalité démocratique, ont fini par s’aligner sur cette nouvelle doctrine née des bureaux américains de la BM et du FMI ; déjà le sommet des chefs d’Etat de France et d’Afrique, tenu en 1995 à Ouagadougou, se proclama solennellement « Sommet de la bonne gouvernance ».

Par ce nouveau précepte, les agences financières internationales vont s’accommoder de tout régime qui assure la performance de l’administration publique, la sécurité, la croissance économique et la stabilité politique, fut-ce en dehors de toute légitimité populaire ou démocratique. Ainsi, parmi les régimes réputés de bonne gouvernance et qui sont devenus des coqueluches des bailleurs de fonds occidentaux, celui de l’Ouganda compte parmi les plus corrompus du continent, alors que ceux du Burkina Faso et du Rwanda sont régulièrement accusés de violer les droits de l’Homme.

Au demeurant, les seuls critères qui entrent en ligne de compte pour juger un régime en termes de gouvernance sont : la stabilité politique (fut-elle de type dictatorial), la rentabilité des investissements, et le remboursement des dettes extérieures, même moyennant une forte paupérisation de la population.

Liberté et droits de l’homme, fondement de la démocratie et l’Etat de droit en Afrique

Sans la liberté, les droits de l’homme, la démocratie et l’Etat de droit, la bonne gouvernance du FMI et des pays occidentaux peut, certes, apporter la croissance en Afrique, mais elle profitera exclusivement aux dictateurs qui contrôlent les institutions de l’Etat en appauvrissant nos populations. Elle favorisera également le développement de la corruption généralement érigée en système de gouvernement.

Sans la liberté, les droits de l’Homme, fondement de la démocratie et l’Etat de droit en Afrique, les institutions fonctionneront aux ordres des dictateurs qui manipulent systématiquement cette notion de la «bonne gouvernance» économique pour s’éterniser au pouvoir. En fait, la bonne gouvernance et les politiques d’ajustements structurels sont une théorie parfaite des dictatures tropicales africaines qui agitent les données comptables nationales pour masquer la réalité du déficit démocratique et la pauvreté de nos populations. La lutte des peuples, pour la liberté et l’indépendance politique, appelle naturellement, en première instance, l’implantation de la démocratie, la liberté et l’Etat de droit. Et s’en suit en deuxième instance, le concept de bonne ou mauvaise gouvernance pour qualifier l’exercice démocratique des dirigeants élus à l’aide des résultats, c’est-à-dire: PIB, PNB, solde budgétaire … qui sont les principaux indicateurs de développement.

Le choix de la démocratie, c’est-à-dire la liberté, les droits de l’Homme et l’Etat de droit sont des concepts de la lutte des peuples désirant s’affranchir de toute sorte d’oppression : qu’elle soit d’origine impérialiste, financière ou strictement dictatoriale. Ces valeurs s’arrachent au terme des combats de longues haleines sans aucune concession.

Le plan de vassalisation de l’Afrique, un complot impérialiste

Les politiques d’ajustements structurels, dites de «bonne gouvernance», c’est la capacité donnée aux pays africains par les institutions financières internationales et les pays développés, à s’endetter à outrance à moyen terme afin de les enfermer dans le cycle du surendettement économique à long terme pour soumettre toute l’Afrique à genoux, à la domination politique, et à la merci des puissances étrangères. Cela s’appelle le plan de vassalisation de l’Afrique qui est un complot impérialiste dirigé contre l’Afrique. De ce point de vue, il faut savoir que l’aide au développement n’est qu’un appât, pour justifier le pillage du continent.

En 2008, l’aide au développement versée à l’Afrique par le G8, c’est-à-dire l’Allemagne, le Canada, les Etats-Unis, la France, l’Angleterre, l’Italie, le Japon, la Russie,  était de 25,3 milliards de dollars contre une enveloppe de 74,2 milliards au niveau mondial. La vraie contrepartie de cette fausse aide publique de 25,3 milliards de dollars pour l’Afrique, qui constitue la partie non visible de l’iceberg, englobe l’exploitation du pétrole, l’uranium, l’aluminium, l’or, le diamant, le bois, le coton, le café, le cacao, le manganèse, les marchés publics … faisant l’objet d’une gestion opaque des grands groupes internationaux, génère au profit des pays occidentaux des centaines de milliards de dollars.

C’est pour cette raison que tous, ils s’y mettent, avec la Chine, en dernier, pour signer des contrats internationaux et concessions de mines jusqu’en 2020, 2030, voir 2050 et au-delà pour l’extraction de certains minerais stratégiques.

Voilà pourquoi, on nous propose plutôt la «bonne gouvernance» à la place de la démocratie, la liberté, les droits de l’Homme et l’Etat de droit en Afrique.


Blog Bacary Goudiaby, tultogo.com et  Wamu Oyatambwe, in Demain Le Monde


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